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Je considère ma paluche percée de part en part d'où le sang se met à dégouliner.
- Ce connard va saloper mon costard ! grogne le conducteur en se penchant sur son volant.
- Je te promets qu'il va t'en payer un autre ! affirme son pote.
Pendant ce bref échange, j'ai récupéré l'usage de ma dextre toujours libre et l'ai engagée dans ma fouille. D'un glissement imperceptible, je saisis le flingue qui attend.
Entre le dossier et le siège de mon tourmenteur, existe un mince interstice dans lequel j'insinue le canon. Sans attendre, je presse la détente à deux reprises.
Le bruit des détonations est étouffé par l'épaisseur du fauteuil. Tu pourrais le prendre pour celui d'un échappement défectueux, si ce n'était l'odeur de poudre...
- Qu'est-ce que ?... commence à s'enquérir le driveur, qui, je te le répète, aurait pu être nain s'il n'avait grandi.
Je dégage mon feu de la banquette et le lui montre tout en songeant qu'il ne reste plus qu'une bastos en magasin. Mais quoi : une balle bien tirée peut faire un mort en état de marche, non ?
Le silence de ma victime m'intrigue. Le blessé reste immobile sur sa banquette.
Au bout d'un instant, il chuchote :
- J'ai la colonne vertébrale touchée, je ne sens plus mes jambes.
- Tu t'achèteras une petite voiture, lui dis-je cyniquement ; il y en a de très performantes, avec moteur et direction assistée.
Puis, à son copain qui Verdi comme le Trouvère :
- Toi, tu vas enlever cette lame de ma viande en gaffant de ne pas me faire souffrir. Si j'éprouve la moindre douleur supplémentaire, faudra un aspirateur pour décoller ta cervelle du plafonnier.
Et de braquer l'arme entre ses sourcils fournis.
Pile comme s'achève l'extraction, mes deux camarades réapparaissent. On lit sur leur visage la satisfaction du citoyen venant d'accomplir sa tâche.
Un signe de Bibi : ils me rejoignent à l'arrière.
- Ça pue la guerre de Quatorze dans c't' chignole, déclare Béru.
- Du grabuge ? demande Jérémie, voyant le raisin dégouliner de ma dextre.
- J'ai eu la main transpercée par un coup de surin, le mec de droite a pris deux bastos dans la région roubignolo-culière en représailles. Quant au vaillant conducteur, si j'en crois l'odeur de merde se mêlant à celle de la poudre, il doit connaître la reddition de ses sphincters.
Je fais de la place à mes chers larrons (des bons en l'occurrence) et ordonne au chauffeur de rouler.
- On va où ? questionne-t-il en actionnant la clé de contact.
- Un coin désert, lâché-je.
- Vous allez pas me buter ! larmoie-t-il. Je vous ai rien fait !
- Mais non ! Seulement bavarder.
Dans le langage des truands, le verbe bavarder revêt une signification redoutable, surtout lorsqu'il intervient après la perspective « d'un coin désert ».
- Je n'efface les gens qu'en état de légitime défense, ainsi jamais je n'aurais zingué le bassin de ton camarade s'il ne m'avait traversé la pogne de son eustache !
Dans le rétroviseur, le nain raté me considère avec défiance. Pour atténuer ses affres, je lui souris.
A cet instant, une tire au gyrophare en folie débouche dans la rue, freine à mort et stoppe devant le ciné. Deux draupers en jaillissent, cependant qu'un troisième attend à l'intérieur.
Je te parie un séjour à Venise contre le slip de Béru que ces archers se rendent chez Adamo Corvado, mort accidentellement à bord d'une bagnole volée. S'ils n'y sont pas venus plus rapidement c'est tout bonnement parce que j'avais chourré ses fafs et qu'ils ont dû procéder à des recherches pour l'identifier.
- Ne t'affole pas, dis-je calmement à l'ancien nabot, déboîte sans te presser.
Pâle comme l'intérieur d'une coquille d'huître, il opère la manœuvre et roule en direction du sud.
D'une allure de corbillard, nous traversons un chapelet d'agglomérations composant une seule ville interminable. D'après les panneaux routiers nous approchons d'Everglades National Park, à la pointe de la Floride.
Je déclare au driveman :
- Je te donne cinq minutes pour dénicher un endroit valable. Passé ce délai, tu risques de gros ennuis de santé.
Il s'engage dans l'immense parc d'une allure mollassonne. A côté de lui son pote s'est évanoui ; sa tête dodeline contre la vitre. Deux balles dans le figne, c'est pas la mort du mec, pourtant !
Blanc qui observe le gnome dans le large rétroviseur murmure :
- Nous devrions nous gaffer de ce zigoto : il a l'air soudain réconforté, cependant son horoscope n'est pas meilleur que tout à l'heure.
Ces paroles pertinent.
Apercevant à droite une vaste aire de jeu bordée de palmiers, j'enjoins au croquant de s'y rabattre. L'endroit comporte un terrain de base-ball, un autre de basket et une immense piscine pourvue de cabines sur un côté.
Je suis surpris par la désertion du lieu qui devrait grouiller de jeunesse. Le dis à Jéjé.
Il hausse ses puissantes épaules moricaudes :
- Tu n'as pas vu les affiches recouvrant la région ? C'est la finale de la coupe de foot-ball américain, à Miami.
Je n'avais pas pris garde.
La tire s'avance jusqu'à un assez vaste parking susceptible d'accueillir une bonne centaine de guindes. Ne s'y trouve qu'une antédiluvienne Ford aux pneus à plat, agonisant sous la poussière.
- Arrête-toi près de cet os ! commandé-je.
Le gussier obéit.
Je tends le deuxième feu gonflant ma poche à notre Valeureux.
- Fais descendre le chauffeur et fouille-le.
Il en est fait selon ma volonté.
Tout ce que le Noirpiot dégage de ses hardes, c'est une matraque de caoutchouc.
Je file un coup de coude au Mammouth somnoleur.
- A toi, l'abbé !
- Il s'agisse de quoive ? demande-t-il, mal réveillé.
- Surveille ce petit vilain tout moche pendant que Jérémie examinera la place conducteur. J'ai, comme lui, le curieux pressentiment qu'il nous a baisé la gueule à un moment donné.
- Fais-toi pas d'mouron, grand. S'il bronche, j' le décortique comme un' langoust' mayonnaise !
Ma main transpercée me fait durement souffrir. L'impression qu'un rongeur féroce me la grignote de ses dents pointues. Je la tiens en l'air pour moins sentir le sang marteler la plaie. Pourvu que cette vomissure de crapaud ne m'ait pas sectionné quelques nerfs ; je ne suis pas bonnard pour me coltiner une paluche nazée.
Devant moi, le Prince Noir s'affaire, et puis émet un sifflement qui me trémulse les cages à miel.
- Du nouveau ? m'enquiers-je.
- Un peu. Regarde !
Il fait pivoter le rétroviseur, lequel est très grand, comme toujours sur les voitures amerloques.
J'avise le minuscule appareil posé derrière la glace. Un point lumineux vert est niché à la base de l'instrument, preuve qu'il est branché.
- Je le savais, grogné-je. Ce dispositif permet à une centrale de positionner ce véhicule et de recevoir les signaux qu'il émet.
- Il a établi le contact sans que nous nous en apercevions, explique Vendredi. Nous devons nous attendre à une intervention de ses complices.
- Dont acte ! conclus-je en lui désignant l'énorme Chevrolet aux vitres opaques qui se radine.